Les lieux du théâtre à Versailles

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Les Plaisirs de l'Isle enchantée : seconde journée, Silvestre Israël © P. Noack, coll. Comédie-Française

Théâtre pour "Le Malade imaginaire" monté devant la grotte de Téthys en 1674

Louis XIV a hérité de son père, Louis XIII, l’amour du théâtre. Sa résidence favorite, Versailles, où de vastes travaux démarrent, dans les jardins et les bâtiments, en 1662, devient ainsi très vite un haut lieu de spectacles. Visite guidée avec Raphaël Masson, conservateur en chef du Patrimoine au Château.

Raphaël Masson est conservateur en chef du Patrimoine au château de Versailles où il est chargé de la conservation des théâtres. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés au Château de Versailles dont Feux royaux à Versailles. La face cachée du soleil (2008), Versailles. L'Opéra royal (2010, coécrit avec Jean-Paul Gousset) ou encore Versailles pour les nuls (2011, avec Mathieu da Vinha).

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Où les comédies-ballets et pièces de Molière furent-elles données à Versailles?

Essentiellement en extérieur, dans les jardins. Lorsque les représentations ont lieu à l’intérieur du château, à cause de la météo notamment, on dresse un théâtre provisoire dans le vestibule de la cour de marbre, qui était situé sous l’actuelle chambre du roi. Dans les années 1660, Versailles est en chantier, il n’y a pas encore de lieu réellement dédié au théâtre. La volonté du jeune roi est de faire de Versailles un lieu de fête et d’émerveillement. Les maître-mots : surprise et féerie. À l’extérieur, on construit le théâtre et la scène avec le plus de recherche possible, pour dérouter le spectateur à coup de luxueux trompe-l’œil : et pour masquer la charpente de ces structures provisoires, on fait chercher des brassées de feuillages dans les bois alentour ! Les jardins sont alors la grande passion du roi et chaque séjour à Versailles est l’occasion de montrer à la cour l’avancée des aménagements. Les spectacles ordinaires ont généralement lieu le soir, mais aux beaux jours, en fin de journée, on profite de la tombée du soleil pour jouer avec la lumière. Lorsque la cour s’installe définitivement à Versailles, en 1682, on fait aménager un théâtre, mais qui n’est qu’un pis-aller.

Où se trouve ce théâtre de 1682 et quels sont les autres lieux de spectacle du château sous le règne de Louis XIV ?

On aménage à la hâte une petite salle de spectacle dans la cour des Princes, située au niveau de l’aile gauche du château. Cette petite salle de théâtre sert pour ce qu’on appelle « l’ordinaire », c’est-à-dire les représentations sans grand spectacle, réservées à la cour. La scène était minuscule, sa profondeur ne permettait pas de mettre plus de deux plans de décors et une toile de fond. Il n’y avait que très peu de dessous de scène, quasiment pas de cintres, et donc pas de possibilité de faire intervenir des machines. Lorsque le Grand Trianon est achevé en 1689, Louis XIV y a prévu un théâtre dans l’aile droite. On y joue régulièrement mais il disparaît quand le roi y fait installer son dernier appartement. Lorsqu’il y a représentation de plus grande ampleur, on s’installe en extérieur ou, en cas de mauvais temps, dans le manège de la Grande Ecurie : les structures sont provisoires, c’est parfois même du grand bricolage. Et lorsque le roi veut voir un spectacle avec de grands effets visuels et de grandes machines, il fait remettre en service la salle des ballets du château de Saint-Germain-en-Laye - pour Les Amants magnifiques de Molière, Lully et Beauchamps, en 1670 - ou il se rend à Paris. Psyché, ultime collaboration de Molière et Lully, est ainsi donné dans l’immense salle des machines des Tuileries, en janvier 1671. Avec l’âge, Louis XIV se détourne du spectacle : il assiste à de petites représentations de salon, chez Madame de Maintenon, mais guère plus.

Qu’en est-il de ses successeurs ?

Louis XV n’est pas un passionné de théâtre : je pense qu’on l’a traumatisé quand il était jeune quand on l’a forcé à danser lors d’un ballet de cour aux Tuileries ! Il y a tout de même du théâtre à Versailles, deux ou trois représentations par semaine, qui ont toujours lieu dans le théâtre de la cour des Princes. Lorsqu’on a besoin d’un lieu pour les grandes représentations, avec plus de public, on continue de monter des scènes provisoires, notamment à la Grande Ecurie. Les Menus-Plaisirs, instance chargée des divertissements royaux, avaient alors en stock pas moins d’une douzaine de théâtres démontables : tréteaux, châssis, cadre de scène avec rideaux, toiles peintes… Madame Pompadour, maîtresse du roi à partir de 1745, s’évertue à le distraire et crée une petite troupe de théâtre amateur : une scène démontable est installée dans l’appartement du roi, pour un petit public de 20 à 30 spectateurs triés sur le volet. Dans les années 1750, on ressort des tiroirs un projet dont le chantier avant vaguement débuté puis avorté sous Louis XIV : la construction d’une salle au bout de l’aile nord du château. Le premier architecte de Louis XV, Ange-Jacques Gabriel, achèvera la réalisation de l’édifice en mai 1770, pour le mariage du Dauphin, le futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette : c’est l’Opéra royal avec sa jauge énorme de 1400 places et sa scène gigantesque. La salle ne sera utilisée qu’à 37 reprises jusqu’en 1789. Louis XVI et Marie-Antoinette décideront à leur tour de faire construire une nouvelle salle de théâtre pour l’ordinaire dans le château. Inaugurée au début de l’année 1786, cette salle construite à la hâte devra être supprimée sous Louis-Philippe. Enfin, dès 1780, Marie-Antoinette fait construire le fameux Petit théâtre de la Reine au sein de son écrin : le domaine de Trianon.

Que reste-t-il des décors des spectacles qui furent donnés à Versailles ?

De l’époque de Molière et du 17e siècle en général, il ne nous reste quasiment rien. Les décors étaient fragiles : en bois léger (sapin, peuplier), papier mâché, décorés avec de la peinture à la détrempe… Ils n’avaient, de toute façon, pas vocation à être conservés. Mais nous avons une idée assez précise des décors de théâtre grâce aux nombreuses gravures, dessins, relations - correspondances, mémoires… - qui décrivent les représentations. Nous avons aussi des esquisses, des plans, des pièces comptables et techniques qui permettent, au détour d’une précision, d’en apprendre davantage sur les couleurs, par exemple. Il faut mener une véritable enquête pour avoir une idée générale de ce à quoi ressemblait les décors peints d’une pièce de Molière donnée à Versailles. Nous avons ainsi de belles gravures du Grand divertissement royal de Versailles, le 18 juillet 1668, pendant lequel Molière et Lully donnèrent, pour la première fois, la comédie-ballet George Dandin. Mais attention, les gravures idéalisent parfois la réalité : elles montrent des spectateurs bien installés, en rang impeccable. Or on sait, grâce aux écrits de ceux qui assistèrent à la représentation, que la cohue et le manque de place était tels que la reine fut bousculée et que beaucoup furent très mal installés ! L’excellence et la magnificence des fêtes royales n’empêchent pas les petits imprévus, comme les couacs d’artificiers un peu trop distraits… Et puis après la fête, l’ambiance est souvent à la fortune du pot : lors des Plaisirs de l’île enchantée, en mai 1664, le roi ne s’est pas soucié le moins du monde de savoir où logeaient ses 400 invités ! La plupart ont campé et même le prince de Condé, cousin de Louis XIV, a dû coucher dans son carrosse !

Que sait-on de la réalisation des décors ?

La préparation des grandes fêtes royales nécessite de réquisitionner, très vite, une grande quantité d’artisans : lorsqu’on a besoin de charpentiers, on file à Paris et on ramène tous ceux de la capitale, qui sont sommés de tout laisser en plan pour venir à Versailles. Heureusement, ils sont grassement payés. Pour les illuminations des fêtes, qui émerveillent la cour à la nuit tombée, 500 personnes travaillent dans l’ombre, postées autour du Grand Canal. On ignore encore bien des choses sur les fêtes royales : par exemple, les conditions acoustiques réelles des représentations en plein-air. La Princesse d’Elide, au deuxième soir des Plaisirs de l’île enchantée, est donnée au beau milieu de l’allée royale et la journée a été venteuse. Molière et ses comédiens ont-ils dû hurler pour se faire entendre ? Même incertitude quant au placement des musiciens lors des scénographies délirantes où les bois étaient installés sur un îlot artificiel, les cordes en équilibre sur un autre… D’où Lully battait-il la mesure et comment faisaient-ils pour que le concert ne tourne pas à la cacophonie ?

« À l’extérieur, on construit le théâtre et la scène avec le plus de recherche possible, pour dérouter le spectateur à coup de luxueux trompe-l’œil. »

"Georges Dandin ou le mari confondu"
Les Fêtes de 1668 données par Louis XIV à Versailles, Lepautre Jean (1618-1682) © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles

"Georges Dandin ou le mari confondu"

Comédie-ballet douce-amère où la pastorale côtoie une intrigue de mariage malheureux

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