“C’était un roi au tempérament mélancolique”

Louis XV
1722-1774
Longtemps éclipsée par la flamboyance du Roi-Soleil, son arrière-grand-père, et le destin tragique de Louis XVI, son petit-fils, la personnalité de Louis XV demeure mystérieuse. Pour la première fois et à l’occasion du tricentenaire du retour du roi à Versailles, en 1722, le château de Versailles lui consacre une grande exposition : Louis XV, Passions d’un roi, jusqu'au 19 février 2023. Entretien avec les commissaires, Yves Carlier et Hélène Delalex.
En 2022, que reste-il à découvrir de Louis XV, personnage complexe que l’on disait timide, voire farouche ?
Yves Carlier : Le 19e siècle a contribué à forger une légende erronée. On l’a considéré comme un roi libertin : Louis XV a été réduit à Madame de Pompadour et à Madame du Barry, à la recherche des plaisirs. En vérité, on accuse Louis XV de libertinage et de mœurs légères dès le règne de Louis XVI... Celui qui fut pourtant appelé “le bien-aimé” a été très impopulaire à la fin de son règne. Il meurt dans une relative indifférence, dans un climat de crise avec le Parlement. On est au siècle des Lumières, la pensée philosophique se fait jour. Si on ne remet pas encore en cause la monarchie, on questionne la conduite du gouvernement. Or, Louis XV avait en tête des réformes fiscales et financières assez drastiques, mais elles n’ont pas eu lieu.
Hélène Delalex : C’est un roi qui a été éclipsé, entre le prestige du Roi-Soleil Louis XIV et le destin de Louis XVI, le roi de la Révolution. Il faut dire que Louis XV a été en partie l’artisan du secret qui l’a entouré : il avait une personnalité timide, et, bien que vivant très entouré, il n’aimait pas les nouveaux visages. “Devant le public, j’essaie de l’accoutumer de parler” dit de lui Madame de Ventadour, sa gouvernante. Depuis son plus jeune âge, Louis XV est attaché à cette forme d’intimité, à cet incognito. Pourtant, il joue son rôle de roi, observe l'étiquette et surpasse chaque jour sa timidité. Il n’a jamais négligé son métier et la représentation que cela impliquait, constitutive de la monarchie française. Plus qu’une timidité, ce qui est à relever dans son caractère, c’est son tempérament mélancolique, carrément torturé. Au fil de l'exposition, nous avons essayé de montrer que son enfance a joué un rôle central dans la constitution de ce caractère.
Justement, quelle place occupe l’enfance, si particulière, de ce petit roi orphelin dans l’exposition ? Quel enfant était Louis XV ?
H.D : Il a été entouré par la mort durant toute son enfance. C’est une enfance solitaire, il n’a guère de camarades de son âge et vit entouré d’adultes. Imaginez qu’il a perdu son frère, ses parents, son arrière-grand-père… Il quitte Versailles pour Paris et vit dans un Palais des Tuileries - deuil oblige - entièrement tendu de noir. C’était par ailleurs un très bel enfant, très populaire, qui a été très représenté maintes et maintes fois comme le seul avenir du royaume.
L’exposition s’intitule « Louis XV, Passions d’un roi » : justement, quelles furent les grandes passions de ce monarque dont on sait que son oncle, le Régent, lui avait communiqué l’amour des sciences ?
H.D : Louis XV bénéficie de la meilleure éducation scientifique qui soit. Il la doit effectivement à son oncle, le Régent, qui surveille de près l’enseignement que reçoit le jeune roi. Philippe d’Orléans était lui-même très versé dans les sciences : chimiste averti, il avait lancé la première encyclopédie, une Description des arts et métiers et voulait faire de Paris la capitale des sciences. Le Régent fait de Louis XV un enfant très curieux, qui va se passionner pour la botanique, l’électricité, les mathématiques, la physique, la géographie… Lors de l’exposition, nous présentons une nouvelle acquisition du château de Versailles : le grand microscope de Louis XV.
Y.C : L’une des autres passions de Louis XV est LA passion Bourbon : la chasse ! Cela lui permettait de pratiquer un exercice physique jusqu’à en épuiser ses chevaux, paraît-il. Il aurait pris près de 8000 cerfs dans sa vie à lui seul… Louis XIV avait commandé aux artistes des représentations de faits guerriers pour illustrer sa vie ; Louis XV, pour illustrer sa propre histoire, fait représenter les chasses royales. Par ailleurs, la vraie passion artistique de Louis XV, ce sont les bâtiments. C’est un roi bâtisseur, féru d'architecture, comme son arrière-grand-père Louis XIV.
On sait que Louis XV, contrairement à son arrière-grand-père Louis XIV, et avant lui Louis XIII, n’était pas un amoureux de musique. Néanmoins, quel était son goût pour le théâtre et le spectacle en particulier ?
H.D : Nous réservons dans l’exposition une large place à l’iconographie montrant les salles de théâtre qui ont été bâties à Versailles et de très beaux livres imprimés sur vélin qui évoquent les comédies et les ballets donnés à la cour. La musique et la danse sont essentielles durant l’enfance du roi : la grâce est constitutive du gentilhomme, un roi doit acquérir les bonnes postures. Que ce soit à Versailles ou dans les autres résidences royales, le rythme des spectacles à la cour est frénétique : opéra, ballets et pastorales sont organisés par Madame de Pompadour pour “le désennuyer”. Mais, selon les contemporains, “le roi ne va presque jamais à la comédie, il préfère courir le cerf trois fois par semaine”.
Y.C : Madame de Pompadour a fait son possible pour intéresser le roi au spectacle. Mais, “l’a-t-il aimé, on ne sait pas !” pour reprendre les propos du spécialiste Raphaël Masson. Il chantait relativement faux, il avait une voix très particulière que l’on reconnaissait de loin. Ce n’est pas un roi danseur alors que Louis XIV en faisait un acte politique. Mais l’apprentissage de la danse lui a donné une présence et surtout une prestance royale, contrairement à Louis XVI, embarrassé par son corps.
Il s’agit de la deuxième grande exposition consacrée à Louis XV, la première ayant eu lieu en 1974 à l’Hôtel de la Monnaie, à Paris. Quels ont été les défis que vous avez pu rencontrer ?
Y.C : Le tricentenaire du retour de la cour à Versailles était l’occasion rêvée. Depuis les années 1970, le recherche a beaucoup avancé, on redécouvre Louis XV, son règne et l'immense production culturelle de cette période. Notre ambition était de jalonner le parcours de l’exposition d'œuvres totalement inédites ou jamais présentées en France. Nous réunissons ainsi près de 400 œuvres provenant du monde entier… de l’infiniment petit à l'infiniment grand !
“Le roi ne va presque jamais à la comédie, il préfère courir le cerf trois fois par semaine”.