Et le Concert spirituel fut

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Thierry Favier

Quand sonne le crépuscule de la Régence de Philippe d’Orléans en 1722, le goût pour le concert est vif dans tout le royaume. En Province, les académies de musique font salle comble et à Paris, le Concert va bientôt s’ouvrir à un public plus large. Le musicologue Thierry Favier nous raconte la naissance du Concert spirituel, initié par un certain Philidor...

Comment est née l'idée du Concert spirituel et quel était le principe ?

L’idée, au début de l’année 1725, est de proposer un Concert public : voilà une nouveauté. Jusque-là, les Concerts étaient privés ou “semi-public”, c'est-à-dire réservés à un cercle précis de personnes qui se connaissaient et financés par la souscription. Avec le Concert spirituel, toute personne peut acheter un billet et assister à la séance. Anne Danican Philidor, alors bibliothécaire de la Musique du roi, fait preuve d’une forme d’opportunisme. Il profite d’un phénomène propre à la Régence. Une grande partie de la cour, de la famille royale et des grandes familles de la noblesse se sont établies à Paris. Dans la capitale, ils assistent à des fêtes dans les grandes paroisses de la capitale : Saint-Eustache, Saint-Sulpice, mais aussi les grands couvents… Leur présence donne une connotation assez mondaine à ces célébrations religieuses, qui deviennent très prisées, avec une musique plus fastueuse que ce qu’elle était habituellement. Affichage, utilisation de billets d'entrée, location de chaises, recrutement des chanteurs et des instrumentistes de l’Opéra… Philidor va reprendre ces pratiques mises en place dans les établissements religieux sous la Régence. Au moment où la cour se reforme à Versailles, au début des années 1720, Philidor propose cette idée très nouvelle d’écouter de la musique sacrée au concert, hors de l'Église, dans un cadre profane. Il signe un contrat avec l’Académie royale de musique : il est soumis à une cotisation annuelle et peut donner des concerts les jours de relâche de l’Opéra, soit entre vingt et trente jours par an.

Quels répertoires Philidor donne-t-il à entendre au public parisien ?

Précisons de suite que le Concert spirituel ne va pas programmer que de la musique religieuse. Le répertoire évolue beaucoup tout au long du XVIIIe siècle. Le jour de l’ouverture, le 17 mars 1725, le public entend deux motets de Lalande, des pièces pour violon et le Concerto pour la nuit de Noël de Corelli. André Danican Philidor, le père de Anne Danican, s’entendait très bien avec Michel-Richard de Lalande, compositeur des motets de la Chapelle du roi. On sait qu’un accord financier avait été conclu entre Lalande, puis sa veuve, et Philidor fils, pour que soient joués des motets à chaque séance du Concert spirituel ! Il est de plus en plus joué jusqu’à occuper parfois quasiment tout le programme dans les années 1740. Entre deux motets, on a des pièces courtes, représentatives de ce qu’était le concert dans les salons : des variations instrumentales, des joutes entre violonistes propres à susciter l’enthousiasme du public, et parfois, de petits motets. Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville rencontre un succès énorme au Concert spirituel à partir de 1748. Il est même considéré comme le nouveau Lalande, son digne héritier : ses motets vont peu à peu remplacer ceux du maître. On loue son style moderne, ses influences italiennes dans l’utilisation de l’orchestre et du style concertant, ainsi qu’un certain respect de la tradition. Les airs italiens sont introduits à partir des années 1740 et, dans le courant de la décennie suivante, c’est la musique allemande que peut entendre le public, avec notamment les symphonies. Le public parisien découvre ainsi les musiciens de l’école de Mannheim, tels que Wagenseil, Stamitz, Sterkel et, à partir de 1770, Haydn ! On y joue Haydn plus que partout ailleurs en Europe…

Qui est le public du Concert spirituel ?

C’est un public très diversifié, hétéroclite, qui regroupe à la fois les forces vives des Lumières - penseurs, intellectuels, artistes… - et un public plus attaché aux valeurs traditionnelles. La frange la plus rigoriste du catholicisme reste opposée au Concert spirituel jusque dans les années 1760, tandis que les catholiques plus modérés considèrent qu’on a là un divertissement dévot, une bonne alternative à l’Opéra, qui reste la bête noire jusqu’à la fin du siècle. L'évêque de Digne habite au Palais des Tuileries et demande à ce qu’on arrange ses appartements afin d'avoir un accès direct au Concert spirituel ! On s’y tient très bien et le public compte souvent des représentants de l’aristocratie. La Reine Marie-Antoinette y vient en 1777. C’est un lieu de mondanités qui accueille tous les étrangers de passage, parfois sous des noms d’emprunt, incognito. C’est le cas vers 1770 du futur empereur d’Autriche Joseph II, annoncé comme le Comte de Falkenstein, vêtu d’un simple habit, ce qui lui permet de ne pas être reçu à la cour avec tout le pesant protocole. Mais toute la salle ou presque l’a reconnu !

Pourquoi le Concert spirituel disparaît-il pendant la Révolution ?

Il y a beaucoup de Concerts pendant la Révolution et donc une vive concurrence. Le Concert de la Loge Olympique, par exemple, est plus cosmopolite. On y entend les nouveaux airs d’opéra italien, on y joue Gluck et Haydn écrit ses Symphonies parisiennes pour ce Concert, pas pour le Concert spirituel. La capitale compte aussi le Concert des amateurs et d’autres concerts à souscription plus ponctuels, organisés à l’initiative de musiciens. Parallèlement à cela, naissent des Concerts dans de nouveaux lieux : dans les musées, en plein air… L’offre est de plus en plus importante et au début de la Révolution, le vénérable Concert spirituel apparaît un peu démodé et trop attaché aux pratiques culturelles de l’Ancien régime. Sans doute y a-t-il aussi une lassitude du public vis-à-vis du répertoire qui se renouvelle moins en cette fin de siècle, couplé à des difficultés financières. Le Concert spirituel aura été l'un des fers de lance du répertoire jusque dans les années 1750. C’est le Concert spirituel qui a fait connaître Lalande et qui a fait Mondonville ! Et c’est le lieu qui a permis au public de découvrir de nombreux compositeurs étrangers et de se familiariser avec le nouveau genre de la symphonie.

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