1. Première partie

  2. Deuxième partie

  3. Troisième partie

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Première partie

Un nouveau musicien pour la Troupe du roi

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Actes expédiés par le secrétaire d’État de la maison du roi, O/1/16 - ©Archives nationales (France)

Texte du privilège royal donnant à Lully le droit de fonder une Académie royale de musique à Paris, en mars 1672

Mars 1672 : l’offensive Lully

Lully poursuit sa route seul, du côté de l’opéra. Il impose des restrictions draconiennes aux troupes de théâtre parisiennes : d’abord, l’interdiction de faire chanter une pièce entière en musique sous peine de 10 000 livres d’amende, sans compter la confiscation des décors et costumes. Le Surintendant de la musique du roi essaye même de faire passer une deuxième clause : l’interdiction, sans son autorisation, de donner aucune représentation théâtrale accompagnée de plus de deux airs et de deux instruments. Un coup de massue inacceptable pour Molière...

Charpentier, talent prometteur

Marc-Antoine Charpentier, à peine âgé de 30 ans, arrive fraîchement de Rome. Dans la cité papale, il s’est formé, trois années durant, auprès du maître Carissimi. Il est accueilli à Paris par l’illustre Mademoiselle de Guise. Or, les familles Guise et Poquelin ont des relations familiales fort anciennes… Il n’est pas impossible que la protectrice du musicien ait provoqué la rencontre avec Molière. Charpentier n'a encore rien écrit pour le théâtre, mais la musique de scène l'intéresse beaucoup. Et puis Molière cherche un nouveau musicien : la nouvelle collaboration est bientôt actée. Il ne le regrettera pas !

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Marc-Antoine Charpentier, anonyme © Goethe Universität Frankfurt am Main

Portrait présumé de Marc-Antoine Charpentier, anonyme

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Vue de la place Saint-Pierre de Rome, anonyme italien © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Mauro Magliani

Le goût de l’Italie

Charpentier a séjourné à Rome : il a nourri son style auprès des maîtres de l'oratorio italien. Molière, lui, est profondément influencé par la musicalité et l’esprit subversif du théâtre italien… Le dramaturge partage d'ailleurs sa salle du Palais-Royal avec la troupe de Scaramouche, en alternance. Pas de doute, le goût de l’Italie n’a pas été pour rien dans les affinités entre les deux artistes !

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Portrait de Molière, Le Brun Charles (1619-1690) © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Fratelli Alinari

Portrait de Molière par Charles Le Brun

Lorsqu’il écrit Le Malade imaginaire en 1672, Molière, acteur et auteur le plus connu de sa génération, est au sommet de sa carrière : une véritable star !

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Le Médecin malgré lui, comédie de Molière : costume de Thenard (Sganarelle) © BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

« Le Médecin malgré lui », costume de Sganarelle

“Qu’ils sont doux
Bouteille jolie,
Qu’ils sont doux
Vos petits glougloux !
Mais mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! Bouteille ma mie,
Pourquoi vous videz-vous ?”

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Deuxième partie

Un grand carnaval musical

Frontispice de l'édition de 1682
Le Malade imaginaire, frontispice Molière © BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

Frontispice de l'édition de 1682

Argan avec Béline et le notaire, assis sur un fauteuil équipé de roulettes. C'est ce fauteuil que la Comédie-Française conserve depuis 1673

Novembre 1672 : que les répétitions commencent !

Molière et Charpentier se retrouvent régulièrement à Auteuil, dans la maison de campagne du dramaturge, pour travailler ensemble à la nouvelle comédie-ballet. Le mardi 22 novembre, La Grange, comédien de la troupe et bras droit de Molière, note dans son registre : « On a commencé la préparation du Malade imaginaire ». La première a lieu moins de trois mois plus tard, le 10 février 1673. Les intermèdes musicaux qui ponctuent chacun des trois actes révèlent une nouvelle fois le génie comique de Charpentier, à la hauteur de celui de Molière. La musique est à la fête ! Lors des préparatifs du Malade imaginaire, Molière engage d'ailleurs des musiciens devant notaires, s’assurant ainsi leur concours fixe.

Un spectacle coûteux

Pour son Malade imaginaire, Molière voit grand ! Le coût de la production s’élève à 2 400 livres, à cause de ses intermèdes en musique, qui requièrent un effectif important : jusqu’à 48 artistes sont sur scène, dont quinze instrumentistes et sept chanteurs, sans compter les douze danseurs et acrobates de Pierre Beauchamps, qu’il faut bien sûr rémunérer… C'est que l'équipe habituelle des chanteurs a suivi Lully à l'Académie royale de musique. Il faut donc en recruter de nouveaux et les former. La création du Malade imaginaire est celle qui coûta sans doute le plus cher à la troupe, plus encore que les reprises du Bourgeois gentilhomme. Heureusement le succès est au rendez-vous  ! La recette de la première représentation, le vendredi 10 février 1673, atteint quasiment 2000 livres.

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La servante Toinette sermonant le benêt Diafoirus, jeune médecin sot et pédant

Le costume d'Argan
Le Malade imaginaire : Le costume d’Argan, Argan Geffroy (dessinateur) ; L. Wolff (graveur) ; Molière (auteur) ©Coll. Comédie-Française

Le costume d'Argan

"Un manteau de peluche couleur de rose doublée de fourrure blanche et un bonnet de panne couleur de rose garni de dentelle"

Les luxueux costumes des danseurs sont réalisés par les tailleurs du roi : pour Le Malade imaginaire, Molière réutilise sans doute ceux de Psyché.

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Le Malade imaginaire, Troost Cornelis (peintre) (1622-1673) © Lebrecht Authors / Bridgeman Images

Médecine, paranoïa et amants contrariés : un cocktail détonant

Argan a épousé, en secondes noces, la coquette Béline, qui simule des soins attentionnés, mais n’attend qu’une chose : hériter de sa fortune ! Hypocondriaque et particulièrement influençable, Argan ne jure que par les prescriptions de son bataillon de médecins et d'apothicaires, enchaînant purges et saignées coûteuses, absorbant toute sorte de remèdes. Pour les berner, Toinette, sa servante, se déguise en médecin... Au milieu de tout cela, il y a Angélique, la fille d’Argan, qui aime Cléante. Or, son père préférerait la voir épouser Thomas Diafoirus, le fils de son cher médecin.

Un détour par la Commedia dell’arte

S’il n’a, à première vue, que peu de rapport avec la pièce, le premier intermède musical, à la fin de l’acte I, introduit l’esprit du carnaval et plonge le spectateur dans un univers onirique à souhait : celui, nocturne et farcesque, de la Commedia dell’arte. La poésie est de la partie, et, avec elle, l'humour ! Complices, Molière et Charpentier parodient avec malice un célèbre personnage de la comédie italienne : Polichinelle, venu chanter la sérénade sous les fenêtres de sa maîtresse, Toinette, la servante d’Argan. Mais le pauvre musicien est interrompu par des violons et des archets venus lui donner des coups de bâton. Il est possible que le rôle de Polichinelle ait été tenu par… Molière lui-même, en plus de celui d’Argan !

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© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

Polichinelle par Antoine Trouvain (1656-1708)

« Monsieur, faites un peu chanter ma fille, devant la compagnie. »

Argan, à Cléante

« J’attendais vos ordres, Monsieur, et il m’est venu en pensée, pour divertir la compagnie, de chanter avec Mademoiselle, une scène d’un petit opéra qu’on a fait depuis peu. Tenez, voilà votre partie. »

Cléante

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Le Malade imaginaire, Dufy Raoul (1877-1953) © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian

Quand soudain… un opéra miniature

Le Malade imaginaire abrite même un opéra miniature, au cœur du deuxième acte : une tendre scène chantée par les deux amants, Cléante et Angélique, qui s’avouent leur amour à la barbe d’Argan. Ce duo galant est interprété par les comédiens de Molière : sa femme, Armande, dite Mademoiselle Molière, et Baron, le jeune talent de la troupe. Après tout, nous sommes au moment où l’opéra français est en train de s’inventer et ce clin d'œil de Molière montre à quel point la comédie-ballet est le lieu de la diversité et du mélange, loin de tout systématisme !

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Entrée des Egyptiens et des Egyptiennes, six figures, Rabel Daniel (1578-1637) © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

À l'époque de Molière, l'Orient est à la mode au théâtre ! Les ballets présentent volontiers des Egyptiens, Egyptiennes, Maures et Turcs en costumes luxuriants... Le deuxième intermède met ainsi en scène des danseurs et chanteurs costumés en Egyptiens.

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Ballet royal de la nuit. Egyptien, Anonyme français © RMN-Grand Palais (Institut de France) / Agence Bulloz
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Habit d'Apoticaire, Anonyme © BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

Un final sur le modèle du « Bourgeois gentilhomme »

Quand Molière écrit la fin de son Malade imaginaire, la folle cérémonie turque qui clôture le Bourgeois gentilhomme n’est pas si loin ! Le finale de cette comédie-ballet de 1670 ayant terriblement plu à son public, il reprend l’idée de la grande cérémonie d’intronisation en musique - qui est en réalité un simulacre, une joyeuse mascarade - et la transpose dans l’univers médical, celui, pompeux à souhait, de l’Université et de l’Ordre des médecins avec de savoureux discours en latin de cuisine… Voilà qui donne un intermède final ébouriffant, clou du spectacle burlesque à souhait où la comédie, la musique et la danse sont réunies. Le médicament idéal contre les obsessions mortifères!

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Troisième partie

Molière, poète maudit ?

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Cabinet des consultations du fameux médecin de Beux, Lepautre Jean (1618-1682) © BNF

Mourir sur scène, un mythe romantique

On connaît du Malade imaginaire le mythe qui s’est développé autour de Molière, qui serait mort sur scène alors qu’il jouait le rôle d’Argan, pendant la quatrième représentation de la pièce, le 17 février 1673. Il ne s'agit ni plus ni moins d'une légende, forgée par l’imaginaire romantique du 19e siècle. A cette époque, le génie est maudit et malade, et si possible des poumons ! Or, Molière est mort chez lui, dans la nuit qui suivit la représentation, des suites d'une violente fluxion de poitrine. Cet hiver-là, de nombreux Parisiens furent brutalement emportés par le même mal.

Une pièce boudée par le roi ?

Lorsqu’ils conçoivent leur comédie-ballet, Molière et Charpentier espèrent créer leur pièce à la cour. Les deux artistes composent un grand prologue à la gloire de Louis XIV. Or, pour la première fois depuis de nombreuses années, Molière n’est pas invité à présenter sa nouvelle comédie-ballet devant le roi, pendant le carnaval… De plus, Louis XIV ne finance pas la création du Malade imaginaire, ce qui se passe ordinairement pour les comédies-ballets. Pourquoi une telle exception ? Les historiens écartent l’explication, peu plausible, de la défaveur royale : à cette période, les relations entre Molière et Louis XIV sont aussi bonnes qu’auparavant. Les Femmes savantes ne sont-elles pas données deux fois à la cour en août et en septembre 1672 ? La raison est conjoncturelle : Lully étant désormais détenteur du monopole de l’Académie royale de musique, c’est à lui que Louis XIV commande le grand divertissement du carnaval de 1673.

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Mélanges autographes : volume 16] (manuscrit autographe) / Marc-Antoine Charpentier, Charpentier, Marc Antoine (1643-1704) © BNF

Manuscrit de la partition de Marc-Antoine Charpentier

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La Fête donnée par Louis XIV pour célébrer la reconquête de la Franche-Comté, à Versailles en 1674, Lepautre Jean (1618-1682) © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Eté 1674 : un hommage à Molière ?

Un an et demi après la mort de son auteur, Le Malade imaginaire est enfin représenté à la cour, devant Louis XIV, lors du Grand Divertissement de Versailles, au mois de juillet. Charpentier y dirige sa musique.

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© Le Philtre

Un des grands succès de la troupe

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Après la mort de son patron, la troupe de Molière est exsangue. A la relâche de Pâques 1673, certains comédiens passent dans la troupe rivale de l’Hôtel de Bourgogne : La Beauval, le jeune Baron et la Thorillière, qui emportent avec eux.. le texte du Malade imaginaire ! Pendant ce temps, Louis XIV accorde à Lully et au machiniste Vigarani la jouissance de la salle du Palais-Royal. Les rescapés de la troupe de Molière fusionnent avec ceux de la troupe du Marais et ils s’installent tous rive gauche, dans un ancien jeu de paume. La troupe, désormais dirigée par La Grange et Armande, la veuve de Molière, compte bien redonner l’ultime comédie-ballet du dramaturge. Officiellement, eux seuls ont en effet le droit de remonter la pièce, comme Louis XIV l’a rappelé par une lettre de cachet. Le 4 mai 1673, Le Malade imaginaire est à l’affiche de la salle des Métayers.

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Préparer un rôle chanté

Le comédien Yoann Gasiorowski a endossé le rôle de Cléante, dans Le Malade imaginaire, sur la scène de la Comédie-Française. Comment a-t-il préparé les parties chantées par son personnage, sans être musicien professionnel, et quel rapport entretient-il avec la musique baroque ? Confidences dans les loges.

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