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Première partie
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Deuxième partie
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Troisième partie
Première partie
Une amitié sincère
Molière lisant son "Tartuffe" chez Ninon de Lenclos, par Nicolas André (1754-1837)
Deux artistes faits pour s’entendre…
Les deux Jean-Baptiste, que dix années séparent, font connaissance durant la jeunesse de Louis XIV, lorsque divertissements et ballets de cour se succèdent presque toute l'année. Au début des années 1660, Molière est un acteur comique fameux, auteur protégé de Louis XIV. Pendant ce temps, un autre artiste charme le roi avec ses talents de violoniste et de danseur. Il s’appelle Giambattista Lulli. Molière et lui partagent le même caractère jovial, un amour commun de la comédie et un sens aiguisé du spectacle, sans compter leur puissance créatrice respective. Le roi ne peut qu'encourager une telle collaboration...
Molière
par Pierre Mignard (1612-1695)
Lully
par Henri Bonnart (1642-1711)
“Lully, fais nous rire !” demandera souvent Molière à son complice...
Lully et les Violons du roy
Almanach de 1669, détail des violons
De Lulli à Lully, un destin inattendu
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Fils de meunier, Giovanni Battista Lulli est né à Florence en 1632. À quatorze ans, il est repéré par le chevalier de Guise, qui l’emmène en France.
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Il devient garçon de chambre chez la duchesse de Montpensier, dite « la Grande Mademoiselle », qui désire parfaire ses connaissances en italien. Elle possède un petit orchestre privé dont les six violons donnent de nombreux concerts…
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Le jeune Lulli apprend ainsi le violon, le clavecin et la composition musicales. Il se révèle par ailleurs excellent danseur ! Ses talents font mouche et le jeune Italien crée pour sa protectrice la « Compagnie des violons de Mademoiselle », réputée pour jouer mieux que les violons du roi ! Le cardinal Mazarin repère le musicien…
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En 1652, après les troubles de la Fronde, Louis XIV, alors âgé de quatorze ans engage Lulli dans la Grande Bande des Violons du Roi, composée de 24 instruments.
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Lulli compose pour le jeune roi fou de danse de nombreux ballets de cour. Dans le Ballet royal de la nuit, il danse aux côtés du monarque.
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En 1659, il triomphe avec le Ballet d'Alcidiane. Sa réputation est faite et il devient premier compositeur de la Cour.
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En 1661, consécration : il est nommé Surintendant de la musique du roi. Naturalisé français, Lulli devient Lully. La rencontre avec Molière est imminente…
Un soir d’août 1661, dans les jardins de Vaux-le-Vicomte
À l’été 1661, Lully collabore pour la première fois avec Molière, pour la création de la comédie-ballet Les Fâcheux, dans les jardins de Vaux-le-Vicomte. Fouquet, alors ministre des finances, organise en son domaine une fête somptueuse. La fameuse soirée, avec le repas de mille couverts préparé par le chef Vatel, est trop fastueuse au goût du jeune Louis XIV : elle précipitera la chute du ministre… Mais c’est une autre histoire. Si Molière écrit le texte, la partition des Fâcheux est confiée à Pierre Beauchamps, qui est non seulement danseur de talent, mais aussi compositeur. Lully, lui, ne fait qu’une apparition : il compose la musique d’une petite Courante, chantée et dansée par le personnage de Lysandre, alias Molière. Un coup d’essai qui fait mouche dans l’oreille du comédien…
Vue du château de Vaux Le Vicomte
du côté des jardins, famille Perelle, (17e siècle)
Vue du village d'Auteuil, au 17e siècle
Par une nuit bien arrosée, chez Molière...
"Le mariage forcé" : musique et danse à volonté
Après le coup d’essai des Fâcheux, Le Mariage forcé acte, au mois de janvier 1664, la collaboration entre Molière et Lully ! Le riche Sganarelle a bien l’intention d’épouser la jeune Dorimène, qui, forcément, en aime un autre… Voilà qui promet de réjouissants rebondissements, rythmés par la musique du nouveau complice de Molière. Les spectateurs ont droit à une ouverture instrumentale et vocale, à des récits chantés en duo et en trio qui interviennent dans le cours de la pièce et la danse occupe une place de premier plan...
Le saviez-vous ?
Lorsque l'un de ses personnages est irrécupérable ou particulièrement détestable aux yeux de Molière, il a toujours la particularité… de détester la musique et la danse !
Le Mariage forcé
Le magicien que consulte Sganarelle
"Il faut absolument que je sache la destinée de mon mariage : et pour cela, je veux aller trouver ce grand magicien, dont tout le monde parle tant, et qui par son art admirable fait voir tout ce que l’on souhaite."
Deuxième partie
Dix ans de collaboration
Dix ans, onze créations luxueuses
Pendant près d’une décennie, Molière et Lully, encouragés par le roi, vont déployer une énergie phénoménale et développer le genre de la comédie-ballet, honorant les commandes royales dans des délais souvent très courts : un mois, parfois une semaine... Un tempo d'enfer qui témoigne d'une ébouriffante énergie créatrice ! Avec le génie de Lully au service de son théâtre, Molière laisse s'épanouir son goût pour la musique…
La mystérieuse "Pastorale comique"
L'une des comédies-ballets du duo, La Pastorale Comique, composée avec Le Sicilien ou l’amour peintre pour le grand Ballet des Muses en 1667, demeure un mystère : le texte complet n'ayant jamais été imprimé, il n'en subsiste que les parties chantées et une brève description des parties récitées.
Complices à la scène
Si Molière est sans cesse sur scène, Lully l’y rejoint volontiers. Pour la première de Monsieur de Pourceaugnac, à Chambord à l’automne 1669, il est sur tous les fronts : tantôt dans la fosse avec ses musiciens, tantôt sur scène, jouant l’un des musiciens italiens travestis en médecin armé d’une longue et terrifiante seringue, qui poursuit le malheureux Pourceaugnac en répétant les mots « Piglia lo su » : prends ce lavement…
“Ce n’est ici qu’un simple crayon, un petit impromptu dont le Roi a voulu se faire un divertissement. Il était le plus précipité de tous ceux que sa Majesté m’ait commandés ; et lorsque je dirai qu’il a été proposé, fait, appris et représenté en cinq jours, je ne dirai que ce qui est vrai.”
avant-propos de "L’Amour médecin"
La musique sur scène : un vrai défi !
La comédie-ballet est à la fois un espace de liberté génial pour les metteurs en scène... et un sacré défi ! Comment associer théâtre, musique et danse ? La metteure en scène Sandrine Anglade, qui s'est plongée dans Monsieur de Pourceaugnac, témoigne.
Monsieur Jourdain
« Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon habit par la ville. » (Acte III scène 1)
14 octobre 1670, au château de Chambord : Molière, dans le rôle de Monsieur Jourdain, donne la réplique à Lully, hilarant en Grand Muphti. C’est la première du Bourgeois Gentilhomme, sommet de leur collaboration !
La grande cérémonie turque ou l'art du final
Molière connaît son public et sait lui proposer un clou du spectacle qu'il n'oubliera pas ! A l'acte V du Bourgeois gentilhomme, le quatrième et dernier intermède de la pièce est une grande cérémonie turque qui voit monsieur Jourdain, au comble de la béatitude, promu "Mamamouchi". Une apothéose où la comédie, la musique et la danse fusionnent comme jamais.
La musique au théâtre, entre fusion et contrastes
Les intermèdes musicaux et dansés des comédies-ballet de Molière font immanquablement basculer l’intrigue réaliste dans un monde onirique. Comment sont-ils élaborés et incorporés à la pièce ? Comment la troupe de Molière travaille-t-elle avec les musiciens de Lully et les danseurs de Beauchamps ? Tour de piste avec Bénédicte Louvat, historienne du théâtre.
Troisième partie
Rupture sur fond d’opéra
Tapisserie représentant le décor de "Psyché"
"Psyché", un succès tonitruant
Le 17 janvier 1671, Molière et Lully offrent à la Cour un sommet de leur collaboration: Psyché, à la fois tragédie-comédie et ballet d'une durée de cinq heures. Elle a été commandée par le roi pour rouvrir l’immense grande salle des machines du Louvre. Après la cour, le public parisien peut découvrir le spectacle, au Palais-Royal cette fois, que Molière a fait aménager à grands frais pour accueillir cette superproduction riche en effets visuels. Avec 38 représentations et 57 000 livres de recettes, c’est le plus grand succès de la carrière de Molière.
Dessin pour le costume de satyre jouant du hautbois par Henri Gissey
Un festival d'effets visuels
« Le Théâtre se change et représente le Ciel. Le grand Palais de Jupiter descend, et laisse voir dans l’éloignement, par trois suites de perspective les autres Palais des Dieux du Ciel les plus puissants ; un Nuage sort du Théâtre, sur lequel l’Amour et Psyché se placent, & sont enlevés par un second Nuage, qui vient en descendant se joindre au premier. »
Livret de Psyché
Dessin pour le costume de Faune pour Psyché, 1671 Henri Gissey
"Pomone", premier opéra français ?
Lully a-t-il trahi Molière ?
Tandis que Psyché triomphe au Palais-Royal, Lully manœuvre en sous-main pour obtenir un précieux document : le privilège de l’opéra. Le tournant 1671-1672 marque ainsi la fin de la collaboration entre les deux Baptiste, protégés du Roi-soleil. Que s’est-il réellement passé ? Le point avec l’historien Jérôme de La Gorce.
L’opéra, affaire d’un seul homme
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Le 28 juin 1668, Louis XIV attribue, pour douze ans, le privilège de l’opéra à Pierre Perrin, poète et librettiste (1620-1675) aux idées novatrices. Programmer des opéras est ainsi passible d'une amende de 10 000 livres, de la confiscation des machines, du théâtre et des costumes.
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Hélas, Perrin s'est mal débrouillé. Les associés dont il s'est entouré, Sourdéac et Champeron, deux escrocs, détournent les fonds et ne payent pas les artistes. Perrin, accablé par ses créanciers, est jeté en prison pour dettes.
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Dans les geôles de la Conciergerie, les prétendants défilent bientôt pour lui racheter la précieuse licence. Beaucoup ont compris que le public français, et parisien a fortiori, est désormais friand d’ouvrages scéniques entièrement mis en musique !
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Lully, appuyé par le ministre Colbert, est le plus rapide… et le plus convaincant. En mars 1672, il rachète le privilège à Perrin.
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Les sanctions ne tardent pas à tomber. Le puissant Surintendant frappe fort : il commence par interdire aux théâtre de représenter des pièces comportant plus de deux chanteurs et de six instrumentistes. Et ce n’est qu’un début…
En 1672, le temps de l’opéra est venu. Lully s’est emparé du privilège de l’Académie royale de musique. Il tourne ainsi le dos à Molière et à la comédie-ballet, préférant se consacrer à sa future grande invention : l’opéra à la française, la tragédie lyrique.