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Première partie
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Deuxième partie
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Troisième partie
Deuxième partie
Le théâtre sinon rien ! Naissance d’une vocation
Portrait de Molière en 1658 par Roland Lefèvre
Musique, danse et théâtre chez les Jésuites
Jean-Baptiste fait ses classes au collège de Clermont, futur lycée Louis-le-Grand. L'établissement, fréquenté par les fils de la bonne bourgeoisie, est tenu par les pères jésuites : la fine fleur des pédagogues ! On y dispense une solide formation théâtrale et musicale et les meilleurs maîtres à danser de la capitale y enseignent l’art de la danse. Les élèves déclament les pièces écrites par les Révérends Pères, apprennent aussi à chanter et à jouer différents instruments de musique.
La jeunesse de Molière : mythes et réalité
De Jean‑Baptiste Poquelin, sieur de Molière, il ne subsiste aucun écrit personnel : ni lettre, ni brouillon, ni note, ni manuscrit. De quoi générer des mythes et des fantasmes tenaces à propos de sa vie et de sa personnalité. Mise au point avec Georges Forestier, auteur d’une biographie consacrée à Molière, parue chez Gallimard en 2018.
Grimaces et pantomimes : l’influence de Scaramouche
Molière comédien et Molière auteur doivent beaucoup à l’esprit railleur et subversif de la troupe des Comédiens-Italiens, dont le chef, Tiberio Fiorilli, plus connu sous le nom de Scaramouche, fut ni plus ni moins un modèle pour Jean-Baptiste Poquelin, son premier admirateur ! Les deux artistes deviendront amis. Scaramouche joue, danse et chante, toujours accompagné de sa guitare : vêtu de son costume noir et sa colerette blanche, il est célèbre dans toute l’Europe...
"Les farceurs dansants"
par Quast Pieter Jansz (1606-1647)
Scaramouche et sa guitare
gravure de Henri Bonnard, vers 1660
Portrait de Tiberio Fiorilli en Scaramouche, par Pietro Paolini, avant 1640
Le fabuleux destin de Tiberio Fiorilli
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1608
Tiberio Fiorilli est né à Naples le 9 novembre. Adolescent, il aurait commis plusieurs larcins : escroquerie, vol organisé… Personnalité déjà haute en couleurs, il se serait même évadé de prison et aurait échappé de peu à la potence.
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Vers 1630
Il commence sa carrière sur des théâtres de tréteaux. Le public est enthousiaste ! Fiorilli quitte l’Italie vers 1640, soit pour fuir une intrigue politique, soit pour suivre une troupe de comédiens. Mystère...
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Vers 1640
Après moults pérégrinations, Fiorilli arrive à Paris, sous le règne de Louis XIII. Son jeu plaît à la reine, il commence à fréquenter la cour et régale le futur Louis XIV, alors enfant, de ses grimaces. Il se serait présenté devant lui dans son costume de théâtre, avec sa guitare, son chien, son chat et son perroquet !
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Vers 1650
Tiberio Fiorilli, qui se fait désormais appeler Scaramouche, devient le directeur de la troupe des Comédiens-Italiens, installée au théâtre du Petit-Bourbon. Molière l’admire dès sa jeunesse. Il s’inspire de son jeu de scène ainsi que de son sens de la pitrerie et de la farce.
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1694
Lorsqu’il meurt à Paris à l’âge de 86 ans, Scaramouche-Fiorilli est célèbre dans l’Europe entière ! Nombre d’estampes circulent, le représentant avec sa guitare. Il a joué sur scène jusqu’à 83 ans.
Sur scène, les comédiens italiens offrent un festival de musique et d'acrobaties !
Scène de la comédie italienne
"Jupiter curieux impertinent" par Claude Gillot (1673-1722)
Séance de théâtre ou "Arlequinade" par Daniel Marot l'Ancien (vers 1663-1752)
Arlequin
Personnage fétiche de la commedia dell'arte, il apparaît sur les tréteaux des théâtres italiens au 16e siècle et porte toujours un masque noir ainsi qu'un costume coloré
30 juin 1643 : longue vie à L’Illustre Théâtre !
Molière a 21 ans. Après de vagues études de droit à Orléans, le jeune homme et une poignée d’amis du quartier des Halles, tous férus de théâtre, décident de fonder leur troupe. Ils sont neuf, ils ont la vingtaine. Parmi eux, Madeleine Béjart, comédienne de talent et amie de Jean-Baptiste. L’Illustre Théâtre : ces jeunes premiers comptent bien séduire le public exigeant de la capitale et concurrencer les deux grandes salles parisiennes qui ont, à cette époque, pignon sur rue, l’Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Marais. Les dix signataires de l'acte de naissance de l'Illustre Théâtre sont Jean-Baptiste Poquelin, Joseph, Madeleine et Geneviève Béjart, Madeleine Malingre, Georges Pinel, Catherine des Urlis, Germain Clérin, Nicolas Bonnenfant et Denys Beys. Il est précisé qu'ils s'unissent et se lient volontairement après s'être mis d'accord sur les articles essentiels pour « l'exercice de la comédie ».
Des musiciens...
... Et un danseur !
Pourquoi Molière ?
Au cours de l’année 1644, Jean-Baptiste Poquelin décide de son nom de scène : ce sera Moliere, d'abord sans accent. Pourquoi ce choix ? Plusieurs hypothèses sont avancées. Peut-être Molière s’est-il inspiré du nom d’un écrivain connu à l’époque, François de Molière, libertin d’esprit assassiné en 1624. Est-ce sinon un hommage à l’un de ses contemporains, le musicien et danseur Louis de Mollier, auteur en 1640 d’un recueil de chansons à danser ? L'hypothèse la plus probable, selon l’historien Georges Forestier, "est à chercher du côté des usages des comédiens professionnels. La plupart des comédiens du XVIIe siècle choisissent en effet des noms de scène qui se référent à des fiefs imaginaires, tous champêtres." Ainsi, dans les mois qui suivent la constitution de L’Illustre Théâtre, "tous les garçons adoptent des noms de scène champêtres. Joseph Béjart devient le « sieur de La Borderie », Germain Clérin le « sieur de Villabé », Georges Pinel le « sieur de La Couture », Nicolas Bonenfant, le « sieur de Croisac », et Nicolas Mary s’était depuis longtemps fait connaître comme le « sieur Des Fontaines ». Et Molière signe « De Molière »." Or, des dizaines de lieux-dits ou de villages français se nomment Meulière ou Molière, et désignent des sites où se trouvaient des carrières de pierres à meule !
Troisième partie
Sur les routes du Sud, le succès en Province
Itinéraire de la troupe de Molière, de 1645 à 1658
L’Illustre Théâtre sur les routes
Les débuts de la jeune troupe ont été décevants. Après un intérêt du public parisien - dû à l’incendie du Théâtre du Marais -, L'Illustre Théâtre est contraint de fermer temporairement ses portes. C’est la débandade : la faillite fait fuir une partie des comédiens. Après deux ans d’essais infructueux, de salle à moitié vide et même un séjour en prison pour dettes, Molière, Madeleine et le clan Béjart décident de faire leurs malles et de tenter leur chance en province, où ils rejoignent la prestigieuse troupe du duc d’Epernon, gouverneur de la Guyenne, l’équivalent actuel de l’Aquitaine. C’est décidé, direction le sud !
Du tragique au comique : Molière prend la plume
Molière comédien se lance d’abord dans le genre noble par excellence : la tragédie avec les grandes pièces à la mode de Rotrou ou de Corneille. Les années d’apprentissage en province lui permettent de s’essayer à un tout autre genre : la comédie ! Dans les rôles qu’il se taille sur-mesure, Molière se révèle un comique génial, remarquable improvisateur doté d’une large palette de mimiques et de grimaces !
Molière tragédien
En César dans "La Mort de Pompée" de Corneille, en 1658, par Nicolas Mignard
Molière, acteur comique
« Le vray portrait de Monsieur de Molière en Sganarelle » par Claude Simonin (1635-1721)
Molière pouvait changer, dit-on, plus de vingt fois de visage au cours d’une même scène !
À Carcassonne, les comédiens rencontrent Charles Coypeau d’Assoucy, poète, joueur de luth et compositeur. Ils feront un bout de chemin ensemble.
Charles Coypeau d'Assoucy par Michel Lasne (1590-1667)
Armand de Bourbon, prince de Conti, par Gilles Rousselet (1610-1686)
À Montpellier, un puissant protecteur
La troupe de Molière gagne en 1653 la protection d’un puissant seigneur, troisième personnage du royaume et grand amateur de théâtre et de ballet, le Prince de Conti (1629-1666). Le prince, l’une des chevilles ouvrières de la Fronde, est de retour dans ses terres après avoir été chassé de Paris par le jeune Louis XIV. Le "Ballet des incompatibles" est donné chez lui, à Montpellier, en 1654. Molière et ses comédiens dansent tous costumés, sur scène, aux côté de la fine fleur des gentilshommes de la région. Une période de prospérité s’ouvre pour Molière et ses compagnons, jusqu’à la crise mystique de Conti en 1657, qui vire à la dévotion, délaisse le théâtre et congédie ses comédiens, sous l’influence de son confesseur, l’abbé Roquette, dont Molière se serait peut-être inspiré pour son hypocrite Tartuffe...
Une troupe ambulante du milieu du siècle, aussi pauvre soit-elle, ne va pas sans un instrument de musique indispensable à toute représentation, et les acteurs sont généralement musiciens.
Attention ! La troupe de Molière, élégante et fortunée, avait belle allure et se distinguait des nombreuses troupes de comédiens de grands chemins, qui battaient la campagne et dormaient dans les granges.
« Fille de qualité apprenant à danser »
gravure de Nicolas Arnoult (vers 1650 - vers 1722)
Madeleine Béjart, complice de talent
Originaire elle aussi du quartier des Halles, Madeleine Béjart, de quatre ans l’aînée de Molière, est une personnalité aux talents multiples, encore méconnue et qui resta aux côtés du dramaturge jusqu’à sa mort en 1672. Présentations avec Georges Forestier.
1658 : le retour à Paris
Dix ans après avoir quitté la capitale, ruinée, la troupe de Molière, désormais riche et célèbre, est considérée comme la meilleure troupe de campagne du royaume. Mais le dramaturge et ses comédiens visent plus haut : à l’automne, ils décident de rentrer à Paris pour, cette fois, conquérir le public ! Ils font un détour par Rouen, pour roder leurs pièces et faire quelques allers-retours dans la capitale, afin de trouver une salle et les appuis nécessaires à leur réussite. Chef de troupe avisé, acteur comique à succès, plume prometteuse qui sait ce que la musique peut apporter à la comédie : Molière a 36 ans et le succès va bientôt arriver, tambours battants…
"Les Précieuses ridicules", créées le 18 novembre 1659 au théâtre du Petit-Bourbon
Frontispice de l'édition de 1682