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Première partie
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Deuxième partie
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Troisième partie
Première partie
Surprise, féerie et enchantement
Au troisième soir des Plaisirs de l'île enchantée, un feu d'artifice est tiré sur le bassin des cygnes
« Les Plaisirs de l’île enchantée » ou le songe d’une nuit de printemps
Mai 1664. Louis XIV, âgé de 26 ans, souhaite donner une grande fête de printemps dans sa résidence favorite, Versailles. Six jours d’effervescence, de défilés costumés, de spectacles, de jeux et de collations en l’honneur, officiellement, de la reine-mère et de la reine, mais, en réalité, de la favorite du moment : Mademoiselle de la Vallière. À Versailles, qui n’est pas encore le siège du pouvoir, les travaux sont en cours et les bâtiments royaux n’ont pas grand-chose à voir avec ceux que nous connaissons…
Un théâtre de verdure
Les jardins commencent à avoir belle allure grâce au talent de Le Nôtre conjugué à la supervision scrupuleuse du monarque. Un cadre bucolique idéal pour un premier divertissement royal ! Pour organiser ces festivités grandioses, le jeune roi a donné carte blanche au duc de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la Chambre. Pour que la fête soit totale et l’émerveillement de tous les instants, Saint-Aignan s’entoure des meilleurs…
Une équipe de choc
Molière, la plume
Depuis son retour à Paris en 1658, Molière est l’auteur dramatique le plus en vue de la capitale ! Après avoir triomphé avec Les Précieuses ridicules et Sganarelle ou le cocu imaginaire, la troupe a pris ses quartiers au théâtre du Palais-royal au début de l’année 1661 où elle crée L’Ecole des Maris, et reprend la comédie-ballet des Fâcheux. A compter de 1664, la troupe de Molière sera de tous les divertissements royaux et deviendra bientôt Troupe du roi.
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Jean-Baptiste Lully
la musique
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Pierre Beauchamps
la chorégraphie
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Carlo Vigarani
les décors
Décor de feuillées pour l'arène
Conçu et dessiné par Carlo Vigarani pour la première journée des Plaisirs de l’Ile enchantée, en mai 1664
Carlo Vigarani, l’ingénieur magicien
Coéquipier de Molière, Lully et Beauchamps lors des fêtes royales, Carlo Vigarani, originaire de Modène, est l’un des grands noms des vingt premières années du règne de Louis XIV, période de fêtes et de splendeurs.
Des illuminations à faire pâlir les étoiles
Le divertissement de la première journée est une course de bague durant laquelle les cavaliers tentent de saisir un anneau avec le bout de leur lance ! Au deuxième soir, La Princesse d’Elide, comédie-ballet galante à souhait de Molière, Lully et Beauchamps, régale les invités du roi. Le décor de verdure de Vigarani a été dressé en plein-air. Les musiciens de Lully sont parfois sur scène, aux côtés des comédiens et des danseurs. Pour la reprise de cette comédie-ballet à Paris, il faudra engager des chanteurs et danseurs professionnels, un petit orchestre de huit violons, trois hautbois et un clavecin ! Un sacré budget. Au troisième journée, surprise : une étonnante baleine et ses deux baleineaux, conçus par Vigarani et ses ingénieurs, flotte sur les eaux du bassin d'Apollon. Puis, un grand feu d’artifice, qui se reflète dans l’eau, régale les convives et suscite des cris d’admiration ! Les festivités vont se poursuivre durant sept jours. Molière et sa troupe sont sur tous les fronts : ils donneront aussi Le Mariage forcé et le sulfureux Tartuffe.
Deuxième soirée
Du 7 au 13 mai 1664, les Plaisirs de l'île enchantée font vibrer Versailles
Troisième journée
1668 : Le Grand divertissement royal, show à la versaillaise
Quatre ans après la fête des Plaisirs de l’île enchantée, Louis XIV entend célébrer sa victoire sur l’Espagne et la paix d’Aix-la-Chapelle, qui marque le rattachement de plusieurs places flamandes (Lille, Douai, Dunkerque…) à la France avec une deuxième fête grandiose donnée, là encore, à la belle saison, en plein-air, dans les jardins de Versailles. La somme extravagante de 117 000 livres est ainsi dépensée pour la seule soirée du 18 juillet 1668 !
"Georges Dandin ou le mari confondu"
Comédie-ballet douce-amère où la pastorale côtoie une intrigue de mariage malheureux
Après le théâtre, le bal !
C'est l'usage : un bal succède très souvent à la représentation
Le programme des festivités
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Promenade
Le roi ouvre son divertissement vers les six heures du soir par une promenade parmi les fontaines. L'attraction principale est le tout nouveau bassin du Dragon et son jet, le plus puissant des jardins.
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Collation
Louis XIV invite ensuite les convives à prendre le frais au bosquet de l’Étoile où les attend une copieuse collation. Dressoirs et buffets sont remplis de montagnes de fruits, de viandes et de vases de liqueurs.
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Spectacle
La cour se rend en carrosse et chaise à porteurs de l’autre côté de la grande allée royale pour assister à la première représentation de la nouvelle comédie-ballet de Molière et de Lully : George Dandin ou le mari confondu. La pièce est jouée dans le théâtre en trompe-l’œil de Vigarani, éclairé de trente-deux lustres de cristal.
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Festin
La collation est déjà loin ! La cour assiste ensuite au festin organisé dans une grande salle octogonale en treillage dont le dôme est ouvert sur le ciel. Au centre est disposé un grand buffet orné d’une fontaine et de vaisselle d’argent.
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Bal
S'ensuit un bal organisé dans une luxueuse salle installée au carrefour du futur bassin de Cérès. De forme octogonale également, elle est précédée d’une galerie de verdure fermée par une grotte de rocailles. Réalisée par Le Vau, elle paraît recouverte de marbre et de porphyre.
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Feux d’artifice
Cela devient une tradition : pas de fête royale sans bouquet final en forme de feu d'artifice ! Un premier feu est tiré depuis les bords du Grand Canal : on aperçoit le Château éclairé de l’intérieur. Un second feu, que personne n’attend, est tiré au-dessus de la pompe de Clagny. La féérie est totale !
Vue du château de Versailles en 1664
par Adam Frans Van der Meulen (1632-1690)
Les lieux du théâtre à Versailles
Louis XIV a hérité de son père, Louis XIII, l’amour du théâtre. Sa résidence favorite, Versailles, où de vastes travaux démarrent, dans les jardins et les bâtiments, en 1662, devient ainsi très vite un haut lieu de spectacles. Visite guidée avec Raphaël Masson, conservateur en chef du Patrimoine au château.
Deuxième partie
Eh bien dansez maintenant !
Le bal, Arbaham Bosse, en 1634
Le ballet de cour : so french !
Grande invention de Molière et de ses collaborateurs, la comédie-ballet ne sort pas de nulle part. Représenté avec éclat chaque année durant le carnaval, le “ballet du roi” constitue, depuis le règne d’Henri IV, un véritable rituel monarchique. Entouré de gentilshommes choisis mais aussi de baladins professionnels, le souverain se met en scène afin de donner à la cour et à ses sujets l’image idéale du prince vertueux. Très en vogue sous Louis XIII, le ballet de cour né au 16e siècle gagne en éclat sous le règne du jeune Louis XIV, habile danseur. Dans les années 1660, la magnificence des ballets est renforcée par une scénographie ambitieuse. Les chorégraphies sont de plus en plus élaborées, costumes et décors rivalisent de magnificence et les grands de la cour se mêlent aux danseurs professionnels qui ne vont pas tarder à se produire seuls sur scène.
Un costume scintillant d'or et de pierreries
Louis XIV en Apollon solaire dans le "Ballet royal de la nuit", au palais du Petit-Bourbon, le 23 février 1653
Un roi danseur
1653 : Le jeune Louis XIV a quinze ans, il vient d'être sacré à Reims roi de France et de Navarre. Mais son activité favorite est la danse qu'il apprend aux côtés des meilleurs maîtres depuis l'âge de sept ans. C’est un danseur remarquable, qui aime la scène et Le Ballet royal de la Nuit, en 1653, arrive à point nommé : la Fronde bat de l'aile et le jeune roi est plus que jamais légitime. Dans cette vaste allégorie de la Nuit vaincue par le Jour, Louis XIV incarne différents personnages (une Heure, un Curieux, un Ardent, un Furieux) pour être, dans la conclusion du ballet, l'incarnation du Soleil : « La troupe des astres s'enfuit, dès que ce grand Roi s'avance ».
La folie du ballet
Cette première apparition du Roi Soleil, symbole qui ne le quittera plus, marque l'apogée d'un ballet de cour exceptionnel : les musiciens Benserade, Boesset, Cambefort et Lambert ont réuni leurs talents pour un spectacle de longue haleine, avec quarante-cinq "entrées" qui voient défiler les personnages, symboles et animaux les plus inattendus, incarnés par les membres de la famille royale, aux côtés de nombreux chanteurs et danseurs professionnels. Les décors et machines de Torelli font merveille dans la salle du Petit-Bourbon, et leur gravure permet la diffusion de cette représentation d'exception, qui sera suivie de six autres. Dansé devant la Reine, la cour et Mazarin, le Ballet de la Nuit pose Louis XIV en figure principale de son royaume.
Louis XIV au bal
Pierre Beauchamps, maître à danser du roi et chorégraphe de Molière
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1631
Naissance à Versailles le 30 octobre. Pierre Beauchamps appartient à une famille de violonistes et de maîtres de danse. Son père, Louis, était violoniste, danseur et chorégraphe.
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1648
Il commence sa carrière de danseur à 17 ans dans le Ballet du dérèglement des passions composé par un certain François de Chancy et donné au Palais Cardinal, futur Palais-Royal, le 23 janvier, en pleine période du carnaval. Louis XIV, alors âgé de cinq ans, vient d’échapper à la petite vérole et peut assister au spectacle.
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1650
Beauchamps est nommé maître de danse de Louis XIV. Il le restera pendant plus de vingt ans et accompagnera le jeune monarque sur scène dans le Ballet royal de la nuit, en 1653, année de son sacre.
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1661
Pierre Beauchamps commence à collaborer avec Molière lors d’une commande de Fouquet, alors ministre des Finances, qui veut régaler ses invités lors d’une fête restée célèbre en son château de Vaux-le-Vicomte, le 17 août. Pris par le temps, Molière et Beauchamps, qui compose les intermèdes musicaux en plus de régler les chorégraphies, inventent la première comédie-ballet de l’histoire : Les Fâcheux. Cette même année, il est nommé intendant des Ballets du roi.
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1671
Désormais maître de ballets de l'Académie royale de musique, qui est véritablement le premier théâtre lyrique parisien, dirigé par Pierre Perrin, à qui Lully va bientôt racheter ce privilège. Pour l'inauguration du théâtre, Beauchamps participe à la création de Pomone, opéra de Robert Cambert qui rencontre un succès tonitruant. Il sera le chorégraphe des tragédies lyriques de Lully.
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1680
Pendant sept ans, Beauchamps exercera la fonction de direction de l’Académie de danse. Ses contemporains diront de lui que "personne n'a mieux dansé en tourbillon, et [que] personne n'a mieux su que lui faire danser".
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1705
Après avoir fini sa carrière en tant que chorégraphe et compositeur pour les collèges des Jésuites, Pierre Beauchamps s’éteint en février. Ce grand danseur laisse un nouveau système de notation chorégraphique, codifiant notamment les cinq positions des pieds et les positions des bras. Cette notation, qu'il négligea de publier, fut reprise par Raoul-Auger Feuillet qui l'édita, à son nom, sous le titre « Chorégraphie ou art de décrire la danse ».
La danse baroque, entre politique et divertissement
Danser au temps de Molière est loin d'être un simple divertissement ! Apanage de l'honnête homme, la "belle danse", comme on dit alors, est un art aussi social que politique. Explications avec le danseur Hubert Hazebroucq, spécialiste de la danse au 17e siècle.
Leçon de danse
Le maître à danser
Il donne traditionnellement le cours avec son violon
Notation des pas de danse
Selon le système mis au point par Pierre Beauchamps
"Musiciens de campagne" : neuf figures du Ballet des Fées de la forêt de Saint Germain, dansé par Louis XIII et son entourage au Louvre le 9 février 1625. Dessin de Daniel Rebel (1578-1637). © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage
Costume de danseur en violon pour le "Ballet royal de la nuit" en 1653 © RMN-Grand Palais (Institut de France) / Agence Bulloz
Costume de guitariste pour la "Pastorale comique" de Molière et Lully, jouée lors de la troisième entrée du grand Ballet des muses, au château de Saint-Germain-en-Laye, en 1667. © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) - Thierry Le Mage
Aucun portrait de Pierre Beauchamps n'est hélas parvenu jusqu'à nous. Ce qui pourrait en faire office est cette maquette de costume pour un rôle de Beauchamp dansant "la Chirurgie" dans Les Noces de Pélée et Thétis, en 1654. © RMN-Grand Palais (Institut de France) / Agence Bulloz
Danseur se préparant, anonyme français du 17e siècle © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) - Thierry Le Mage
Troisième partie
La cour, berceau des comédies-ballets
L'automne à Chambord
En octobre, saison de la chasse, le roi et sa cour partent pour les bords de Loire, direction Chambord et les immenses forêts du domaine
À chaque saison sa résidence
Voulues par le roi, les comédies-ballets sont d’abord créées dans le cadre des divertissements dont Louis XIV régale sa cour, au gré des séjours dans les diverses résidences royales. Et pour divertir tout ce monde, les artistes sont de la partie ! Lully et ses musiciens, Beauchamps et ses danseurs devancent le cortège royal, Molière et sa troupe sont convoqués. Ils quittent prestement Paris et la salle du Palais-Royal pour plusieurs jours, direction l’une ou l’autre des résidences royales.
Molière courtisan
Commandes destinées au plaisir du roi et au pur divertissement, les comédies-ballets révèlent un Molière épris de grand spectacle, un Molière “Folie-Bergère” comme le dira le chorégraphe Maurice Béjart, qui semble éloigné, à première vue, du Molière subversif du Tartuffe ou de Dom Juan, implacable critique de l’hypocrisie sociale et inventeur de la grande comédie classique. Mais qu’en est-il réellement ? Mise au point avec l’historien Charles Mazouer.
1667 : un parfum de Sicile à Saint-Germain-en-Laye
Les comédies-ballets du trio Molière, Lully et Beauchamp sont parfois intégrées aux grands ballets de cour programmés aux mois de décembre et de janvier, pendant le carnaval, le temps fort des festivités à la cour de France ! L’un des plus fameux est sans doute le Ballet des muses, sorte de grand gala qui va durer de décembre 1666 jusqu’au mois de février 1667 dans la salle de bal du château de Saint-Germain-en-Laye. Le roi y danse plusieurs rôles : tantôt un berger, tantôt un poète, tantôt Jupiter. Tous les arts, incarnés par les muses, ont droit à une entrée : parmi eux, le théâtre. Molière écrit deux pièces : une Pastorale comique et une petite comédie en un acte, Le Sicilien ou l’amour peintre.
As-tu là tes musiciens ? Fais-les approcher. Je veux, jusques au jour, les faire, ici, chanter ; et voir si leur musique n’obligera point cette belle à paraître à quelque fenêtre.
"Le Sicilien ou l'Amour peintre", acte I
« Les Amants magnifiques », splendeur et mythologie
C’est l’un des spectacles les plus coûteux commandés par le roi. Un divertissement royal hors de prix conçu par Molière, en collaboration avec Lully, Beauchamps et Vigarani qui fut représenté à Saint-Germain-en-Laye en 1670 et ne sera jamais repris à la ville du vivant de Molière. Coup de projecteur, avec Laura Naudeix, qui a dirigé l´ouvrage Molière à la cour : Les Amants magnifiques en 1670 (2020), sur cette comédie-ballet méconnue à la frontière de la fête et du théâtre.