Madeleine Béjart, complice de talent

« Fille de qualité apprenant à danser »
Recueil de modes : Tome 3 : quatre-vingt-dix-huit planches, Arnoult Nicolas (16..-17..) © BNF

« Fille de qualité apprenant à danser »

gravure de Nicolas Arnoult (vers 1650 - vers 1722)

Originaire elle aussi du quartier des Halles, Madeleine Béjart, de quatre ans l’aînée de Molière, est une personnalité aux talents multiples, encore méconnue et qui resta aux côtés du dramaturge jusqu’à sa mort en 1672. Présentations avec Georges Forestier.

Georges Forestier est professeur de littérature française à l'Université Paris IV Sorbonne, spécialiste du 17e siècle et Directeur du Centre de Recherche sur l'Histoire du Théâtre. Il a dirigé la nouvelle édition des œuvres complètes de Molière dans la Pléiade et, en 2018, a publié chez Gallimard une biographie de référence sur le dramaturge.

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Que sait-on, aujourd’hui, de la personnalité de Madeleine Béjart ?

J’ai tenté de la reconstituer lors de mes recherches pour ma biographie de Molière. On a dit beaucoup de choses fausses sur Madeleine Béjart, comme le fait qu’elle aurait été comédienne bien avant de se lancer, avec Molière, dans l’aventure de l’Illustre Théâtre, à l’été 1643. A ce moment-là, c’est une jeune femme émancipée depuis l’âge de 19 ans, qui a refusé le mariage d’argent que ses parents ambitionnaient pour elle. Elle sort d’une grande passion avec le comte de Modène, homme marié qui appartient à la plus haute aristocratie, grand seigneur aventurier et romanesque avec qui elle a vécu quelques années et dont elle a eu deux filles : Françoise, en 1638, que le comte reconnaît, et vraisemblablement Armande, vers 1642-1643, qui n’était pas, comme on l’a longtemps dit, la fille de Molière ! C’est une femme libre et, surtout, cultivée, éduquée : elle composait de fort beaux vers, dont certains sont parus en tête d’une tragédie de l’un des grands auteurs de l’époque, Jean de Rotrou. Si l’on croit le portrait que dresse d’elle le poète Georges de Scudéry, Madeleine Béjart était destinée à être une grande courtisane du 17e siècle, l’équivalent d’une demi-mondaine au 19e siècle. Si elle s’est adaptée si facilement au monde au théâtre en 1643, c’est qu’elle en avait la culture et un vrai talent d’artiste. Notons tout de même qu’à l’époque, le métier de comédien ne demande pas les compétences que l’on prête à l’actor's studio du 20e siècle. On ne joue pas au 17e siècle : on exprime des textes.

Comment ​a-t-elle rencontré Molière ?

On ignore les circonstances précises, mais ils se sont rencontrés grâce à leur voisinage, le quartier des Halles. Madeleine vient d’accoucher de son deuxième enfant, s’en est fini avec le comte de Modène, compromis politiquement, qui s’est exilé dans son château du Midi. Elle est de retour chez ses parents et Molière intègre bientôt le clan Béjart : autour de Madeleine, il y a Joseph, le frère aîné, Geneviève la petite sœur, puis, lorsque les Béjart et Molière partiront sur les routes de province après le naufrage de L’Illustre Théâtre, ils seront rejoints par la mère Béjart et le petit dernier, Louis. Les liens qui se créent entre eux seront indéfectibles : ils deviennent une véritable famille et, à partir de 1658, ils logent tous dans le même immeuble à Paris.

Quels furent ses grands rôles dans les comédies de Molière et ses fonctions au sein de la troupe ?

Elle s’est d’abord imposée comme tragédienne et le théâtre du Marais aurait même fait des pieds et des mains pour l’engager ! Avant que Molière ne prenne la plume et ne s’impose dans le registre de la comédie, sa troupe n’avait que des tragédies à son répertoire. A partir de 1663, avec le rôle de Dorine dans Le Tartuffe, elle joue essentiellement des rôles de servantes. Sa fille, Armande, est entrée dans la troupe et brigue désormais les rôles de jeunes premières, en concurrence avec Catherine de Brie et Marquise du Parc. Quant aux fonctions de Madeleine au sein de la troupe, on sait qu’elle achète des décors et les loue à ses camarades ; c’est elle qui loue, en juillet 1658, la salle du théâtre du Marais, au nom de la troupe. Habile entrepreneuse, elle sait faire fructifier ses affaires, s’associe par exemple dans une entreprise de tannerie… En 1646, lorsque Madeleine, Molière et ses compagnons partent en province et sont engagés par la troupe du duc d’Epernon, ils sont tous ruinés. Dix ans plus tard, elle est à la tête d’une petite fortune et prête même la somme de 10 000 livres à la province du Languedoc !

Comment sa relation avec Molière a-t-elle évoluée, notamment au moment du mariage avec Armande avec 1662 ?

Nous ne pouvons faire que des hypothèses. Molière et Madeleine sont restés proches et unis jusqu’à la mort de celle-ci, le 17 février 1672, un an jour pour jour avant la disparition de son compagnon de scène. J’ai toujours pensé que leur relation, lorsqu’ils étaient amants, n’a jamais été passionnelle. Autrement, comment aurait-elle pu tolérer que l’homme qu’elle a aimé épouse sa propre fille ? Le grand amour de sa vie a plutôt été le comte de Modène, père de ses enfants. Sa relation avec Molière a plutôt relevé d’une profonde amitié, teinté d’amourette dans leur jeunesse et, surtout, d’admiration mutuelle et d’un même sens des affaires.

« Elle était belle, elle était galante, elle avait beaucoup d'esprit, elle chantait bien ; elle dansait bien ; elle jouait de toutes sortes d'instruments ; elle écrivait fort joliment en vers et en prose et sa conversation était fort divertissante. Elle était de plus une des meilleures actrices de son siècle et son récit avait tant de charmes qu'elle inspirait véritablement toutes les feintes passions qu'on lui voyait représenter sur le Théâtre. »

Le poète et dramaturge Georges de Scudéry (1607-1667)

à propos de Madeleine Béjart

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