Composer sur les traces du motet

Philippe Hersant
Crédits : Cathy Bistour
Il est des compositeurs, et des compositrices, d'aujourd'hui qui aiment écrire pour instruments baroques et maîtrise d'enfants... C'est le cas de Philippe Hersant qui compose, en 2015, son mystérieux Cantique des trois enfants dans la fournaise.
Présentez-nous la pièce…
C’est une superproduction ! Cette pièce, qui m’a été commandée par Radio France, mobilise quatre choeurs de dix-huit enfants, chacun étant accompagné par un quatuor instrumental, plus trois jeunes chanteurs solistes. Soit plus de 80 musiciens, qui doivent, lors des représentations, être répartis aux quatre points cardinaux de l’église. On m’a demandé de reprendre l’effectif et le principe de spatialisation de la grande Messe à quatre choeurs de Marc-Antoine Charpentier, composée au début des années 1670. On pense d’ailleurs que cette pièce imposante n’a jamais été jouée du vivant du compositeur, car elle demandait un effectif musical trop important...
Comment écrit-on pour une maîtrise d’enfants ?
On aurait tendance à penser qu’il ne faut pas écrire des choses trop difficiles pour les jeunes voix, avec, par exemple, un ambitus - c’est-à-dire l’écart entre la note la plus grave et la note la plus aiguë - trop grand. Mais, nous avons aujourd’hui, en France, des maîtrises de bien meilleur niveau qu’auparavant : celles de Radio France et du Centre de musique baroque de Versailles, par exemple ! Les compositeurs peuvent donc se lâcher et faire des propositions solides et ambitieuses : je n’ai pas fait particulièrement attention au fait que c’était des enfants. En revanche pour les trois parties de solistes, chantées par des garçons de 13 ans, pages au CMBV, j’ai vraiment tenu compte du timbre de ces voix qui n’ont pas encore mué, des voix fines, fragiles, sans vibrato…
Et comment écrire pour instruments anciens ?
C’est plus compliqué ! On n’écrit surtout pas pour violes de gambe comme si c’étaient des violoncelles : elles sont leurs lointaines cousines, mais ce sont deux instruments aux techniques différentes. Il faut absolument connaître les contraintes de ces instruments anciens, sinon on écrit quelque-chose d’injouable… ou qui ne sonnera pas. Par exemple, on ne peut pas demander d’aigus très forts à une viole. Si on veut chercher la puissance, il faut aller vers les graves. Pour les cuivres baroques, qui ont la particularité d’être sans pistons, donc avec moins de notes que nos instruments à vent modernes, il faut là-encore faire attention : ils sont moins puissants et moins homogènes, mais, selon moi, plus savoureux, plus vivants. La sacqueboute, elle, se joue comme le trombone, mais le son est bien plus doux, plus fin. C’est la première fois que j’utilisais des théorbes : je marchais sur des œufs ! Les instruments anciens intéressent de plus en plus les compositeurs et compositrices et, inversement, les musiciens baroques, qui cherchent à élargir leur répertoire, se tournent de plus en plus vers nous. Maintenant que le répertoire est redécouvert, ces instruments doivent continuer à vivre avec des œuvres nouvelles.
Quel souvenir gardez-vous de la création de cette oeuvre à la Chapelle royale ?
Excellent. C’était le 3 juillet 2017 et... il faisait une chaleur incroyable ! Les pauvres solistes suaient à grosses gouttes dans leur costume de velours. Le lieu est somptueux et la disposition était judicieuse : nous avions placé les trois jeunes chanteurs à l’étage, à la tribune musique, devant l’orgue. C’était, visuellement, très réussi.
Ecoutez un extrait !
Cantique des trois enfants dans la fournaise
Extrait du Cantique des trois enfants dans la fournaise de Philippe Hersant, interprété par la maîtrise du Centre de musique baroque de Versailles et la maîtrise de Radio France, dirigées par Sofi Jeannin.