Le "Te deum" de la discorde

Le violoniste Daniel Cuiller s'est intéressé de près à un épisode orageux de l'histoire de la Chapelle royale : «La Guerre des Te Deum», dont il a tiré un disque...

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Les relations entre les différents départements de la Musique du roi, la Chambre, la Chapelle et l'Écurie, n’ont rien d’un long fleuve tranquille… Sous le règne de Louis XV, de vives querelles ont éclaté entre les musiciens, toutes à propos du Te Deum !

Comment vous êtes-vous frotté au répertoire des Te Deum du 18e siècle ?

En 2013, le festival des abbayes de Lorraine avec lequel mon ensemble, Stradivaria, collabore régulièrement, a attiré mon attention sur le compositeur Henry Madin, né 1698 et mort 1748. C’était un contemporain de Nicolas Bernier et d’André Campra, mais il est aujourd’hui bien moins connu qu’eux. Or, il a composé le plus long Te Deum de la musique française : 45 minutes de musique ! Je me suis plongé dans l’œuvre, qui nous a amené à la Chapelle royale de Versailles, où nous avons donné un concert. C’était la première fois, depuis que Louis XV l’avait entendu, en 1762, qu’on y faisait sonner ce Te Deum. Un grand moment d’émotion… J’estime que l’une de mes missions de musicien est de faire sortir les œuvres oubliées du silence.

Une belle découverte, qui vous a conduit à enregistrer deux autres partitions, composées quasiment vingt ans auparavant…

Les Te Deum de François Colin de Blamont et Esprit Antoine Blanchard. L’histoire de ces deux musiciens et de ces deux œuvres a un beau potentiel romanesque. Ils travaillent à Versailles, sous le règne de Louis XV. Blanchard est sous-maître à la Chapelle, Colin de Blamont est Surintendant de la musique du roi. Ces deux artistes ont des personnalités diamétralement opposées : le premier est abbé, il vient de Province. Il est traditionnel dans son écriture et sans doute plus discret que son confrère. Colin de Blamont, lui, est dévoré d’ambition. On peut dire que c’est un intrigant et, à mon sens, quelqu’un de peu sympathique !

Que s’est-il passé ?

Le 12 mai 1745, la nouvelle de la victoire de Fontenoy arrive à Versailles. La reine demande qu’on chante un Te Deum dès le lendemain, à la messe. On court chercher Blanchard, mais on ne le trouve pas. Colin de Blamont apprend la nouvelle et estime que c’est à lui de diriger son propre Te Deum à la chapelle. Or, la Reine soutient Blanchard, qui peut finalement distribuer sa partition à tous les musiciens, le lendemain matin. Mais, au dernier moment, Blamont monte à la tribune et tente de substituer les siennes ! Mais il arrive trop tard : on commence à jouer le Te Deum de Blanchard. Quelques jours après, Blamont arrive à faire jouer le sien à… la messe du roi ! On a là un véritable bras de fer entre le surintendant et le sous-maître, qui se transforme en querelle entre ce qu’on a appelé « le coin de la reine » et « le coin du roi ».

Finalement, Blanchard ou Colin de Blamont ?

De cœur, j’étais plutôt attaché à la personnalité et à la musique de Blanchard, plus traditionnelle, plus sérieuse aussi, plus fidèle à la tradition française, moins bavarde que la musique italienne, très à la mode à cette époque. Mais Blamont est brillant et très attirant. On ne peut pas s'empêcher d’être séduit par sa musique, plus fleurie, empreinte de références à l’Italie. Programmer les deux œuvres en vis-à-vis donne une idée saisissante de ce qui se composait à une même époque, pour la Chapelle du roi !

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Portrait : Esprit-Antoine Blanchard

"De cœur, j’étais plutôt attaché à la personnalité et à la musique de Blanchard, plus traditionnelle, plus sérieuse aussi, plus fidèle à la tradition française, moins volubile que la musique italienne, très à la mode à cette époque."

Daniel Cuiller

La Guerre des Te Deum, chœur Marguerite-Louise, ensemble Stradivaria (dir. Daniel Cuiller), paru chez Château de Versailles Spectacles (2019).

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