Lully et la musique religieuse
Non, le puissant surintendant de la musique de Louis XIV n’a jamais été en poste à la Chapelle du roi. Ce qui ne l'a pas empêché de composer de grandes oeuvres religieuses… Explications avec le musicologue Thierry Favier, l'un des grands spécialistes de la musique d'église des 17e et 18e siècles.

On connaît surtout l’œuvre profane de Lully. Mais combien d’œuvres religieuses a-t-il composé ?
Douze motets à grand chœur nous sont parvenus, composés tout au long de sa carrière à la cour. Le premier est le Jubilate Deo que Lully écrit en 1660 à l’occasion de la signature du Traité des Pyrénées. On célèbre à cette époque de grandes fêtes dynastiques pour la signature de la paix avec l’Espagne, mais aussi pour le mariage du roi, son entrée dans Paris, la naissance du Dauphin et, en 1668, son baptême. C’est à cette époque que Louis XIV commence à imaginer, avec ses musiciens et son entourage, un projet de musique nationale, qui puisse concurrencer la musique italienne et qui ait une identité sonore propre : le futur motet à grand chœur. L'appellation arrivera dans les années 1680, plus précisément quelques années après le fameux concours de 1683. Lully n’avait aucune obligation de composer des motets, si ce n’est pour les grandes fêtes du règne ou pour les fêtes solennelles célébrées à Paris en présence de la famille royale. Sa participation est alors justifiée par le fait que ces cérémonies rassemblent les musiciens de la Chambre et ceux de la Chapelle. Dans ce cas, il existait une concurrence réelle entre Lully, compositeur puis Surintendant de la Musique de la Chambre, et les sous-maîtres de la Chapelle. Ses motets sont arrivés jusqu’à nous, tandis que nous avons très peu de partitions des sous-maîtres du tout début du règne de Louis XIV, c’est-à-dire Thomas Gobert, Jean Veillot et Gabriel Expilly.
Quel était son rapport à la religion ?
On ne peut pas comprendre le rapport des hommes à la religion au 17e siècle sans se replacer dans le contexte d’une société profondément chrétienne. La religion est très présente, et la pratique quasiment systématique. Lully n’a jamais été anticlérical, mais il est ce qu’on appelle un libertin. Libertin de mœurs, pas d’esprit : il n’est en aucun cas un précurseur de l’athéisme du 18e siècle. Lully est homosexuel, ce qui le met dans une situation difficile par rapport à l’Église. Un scandale éclate en 1685, lorsque sa relation avec le jeune Brunet, page à la Chapelle, est dévoilée au grand jour, alors même que la cour est de plus en plus portée sur la dévotion. Poèmes satiriques et pamphlets circulent sous le manteau à la suite de cette affaire, dont on entend parler jusqu’à la cour des Médicis, en Italie ! Un événement qui lui vaudra une certaine disgrâce : ses derniers opéras sont peu ou pas donnés à la cour. Nous sommes aussi à une époque de condamnation du théâtre par les ecclésiastiques rigoristes, dont le célèbre Bossuet, et, plus encore, de l’opéra, lieu de corruption du fait de la sensualité de la voix et du plaisir qu’y goûte le public. Avant de mourir, Lully a dû faire amende honorable publiquement et renoncer complètement, devant un prêtre, à l’opéra. Sa dernière composition est un air spirituel intitulé "Il faut mourir, pécheur", qu'il aurait composé, selon certains, après avoir reçu les derniers sacrements, comme gage de sa conversion…
Quelles étaient les relations de Lully avec la Chapelle royale et ses sous-maîtres ?
Cela dépend du stade de sa carrière. Avant 1661, avant qu’il ne devienne Surintendant, il est évident que le poste de sous-maître est perçu comme un débouché intéressant. Lully est alors en concurrence avec les compositeurs de la musique de la Chapelle. Il continuera à composer pour des occasions prestigieuses, mais dès lors qu’il devient Surintendant, en 1661, ce n’est plus une perspective. Cela ne l’empêche pas de s’investir dans la musique religieuse lorsque des occasions prestigieuses se présentent, il suffit de penser au succès éblouissant de son Miserere, joué pour la première fois en 1663, ou de son fameux Te Deum, composé pour le baptême de son fils Louis, dont le roi était le parrain. On connaît en revanche très mal les rapports qu’il entretenait avec les sous-maîtres Du Mont et Robert, puis le jeune Lalande. On constate cependant une influence réciproque continuelle entre ces musiciens. Lully vient du violon, de la musique de danse… Quand on étudie ses partitions, on voit à quel point cette formation est présente dans son œuvre, mais aussi à quel point il a assimilé le style d’église de Robert et Du Mont.

Le baptême du Grand Dauphin à Saint-Germain-en-Laye
Détail des musiciens à la tribune, dirigés par Lully. Le surintendant tient, dans sa main, un rouleau de partition.

Jean-Baptiste Lully
Surintendant de la Musique du roi